Publié le 5 décembre 2022 Mis à jour le 8 décembre 2022

Le CF63, un véritable laboratoire à ciel ouvert pour Stéphane Héros, enseignant et chercheur à l'UCA (laboratoire ACTé URn°4281). Après un travail long de cinq années qui l’a vu ?uvrer auprès de l’équipe de France U17, au départ, puis poursuivre ses recherches au sein du staff du Clermont Foot 63, Stéphane Héros a récemment validé sa thèse sur les transitions défensives. Une réussite qui vient illustrer la collaboration unique en France existant entre un club de football de Ligue 1 Uber Eats, le CF63, et une université, l’Université Clermont Auvergne (UCA), collaboration régit par une convention cadre de partenariat.

? Je me posais un certain nombre de questions en tant qu’entra?neur et qu’enseignant en Staps sur la réaction des joueurs à la perte du ballon, rembobine Stéphane Héros, l’adjoint de Pascal Gastien. Je me disais qu’il y avait certainement des choses à faire sur ce domaine, que les choses étaient en train d’évoluer sur ces phases-là. Je me suis toujours posé des questions sur la compréhension du jeu. Et pour moi, les transitions sont au c?ur de la dynamique du jeu. Je me disais qu’il y avait quelque chose à fouiller. ?

Professeur agrégé d’EPS, il a depuis parcouru un sacré chemin. Après un passage par Clairefontaine pour travailler auprès de l’équipe de France U17 entra?née par Lionel Rouxel, l’universitaire n’a eu de cesse de creuser le sujet pour mieux comprendre les joueurs et leur fonctionnement.

? Je me concentre sur les pertes de balles mais aussi sur la phase qu’il y a avant, explique-t-il. La fa?on dont on va réagir est souvent liée à si on s’y est préparé et comment on s’y est préparé. Ma recherche porte sur ces deux phases-là. ? la fois sur ce que prescrit l’entra?neur, ses consignes, et sur ce que ressentent les joueurs, leur vécu, l’idée étant de comprendre ce qui limite leurs réponses aux attentes de l’entra?neur. ?

? Je savais que Stéphane menait cette étude sur les transitions défensives parce qu’il m’avait contacté au début de ses travaux, raconte Lionel Rouxel, responsable des sélections de jeunes des équipes de France. Il est venu avec nous sur la sélection U17. Il a intégré le staff pour étudier les joueurs et leurs comportements notamment lors d’un match France – Italie. Son travail est vraiment très intéressant surtout du point de vue de l’analyse des attitudes des jeunes joueurs, surtout ceux qui ont tendance à baisser les bras à la perte du ballon. ?

Cet intérêt pour le travail de Stéphane Héros, Pascal Gastien l’a très rapidement partagé. ? J’ai fait passer des questionnaires à des entra?neurs pros, se rappelle celui qui est depuis cette saison l’un des adjoints du technicien clermontois. Et Pascal, avec qui j’avais fait connaissance entre temps, m’a proposé de poursuivre mon étude au sein du club. ?

Une opportunité qui tombait à point nommé pour le chercheur. ? Il me fallait investiguer le haut niveau, souligne-t-il. J’avais fait mon master avec des joueurs de niveau régional et je voulais cette fois étudier des joueurs qui s’entra?nent plus régulièrement dans un environnement très normé avec des prescriptions très fines. ?

Débute alors une nouvelle phase dans les travaux de Stéphane Héros. ? Je suis avec le groupe pro depuis la saison 2017-2018, expose-t-il. J’ai construit mes matériaux de saison en saison. Avec l’idée de faire passer des entretiens au cours desquels le joueur est amené à se confier. Ceci n’est pas envisageable sur du court terme. J’ai d’abord étudié les aspects comportementaux afin de pouvoir présenter mon travail au staff puis aux joueurs. Il a fallu construire une relation de confiance dans ce qui pourrait être apparenté à un travail ethnologique ou ethnographique. L’objectif était de recueillir des matériaux de qualité dans les entretiens notamment. ?

Une fois bien installé dans le groupe, Stéphane Héros a pu débuter son travail d’analyse. ? Il y a eu une première tentative où j’ai étudié toutes les transitions défensives partout sur le terrain mais c’était difficilement exploitable, sourit le technicien. Puis il y a eu une deuxième période où j’ai restreint l’étude en ne considérant que les phases de possession hautes suivies de pertes hautes parce que cela correspond au projet de jeu du club et à la philosophie de Pascal Gastien. Ensuite, j’ai étudié 4 doublettes de 2 joueurs (2 latéraux, 2 centraux, 2 récupérateurs et 2 excentrés). J’avais déjà une petite idée des postes avant de commencer pour pouvoir comparer les différences interindividuelles. ?

Les premiers résultats tombent alors. ? On voit, par exemple, que le latéral droit et le latéral gauche ne sont pas mobilisés par les mêmes choses en situation, explique-t-il. Leur activité, leurs comportements peuvent être en décalage par rapport aux prescriptions du coach dans certains contextes, mais aussi entre eux, selon leur vécu. On vit tous, en fait, dans un monde propre que l’on reconstruit en permanence. Et l’idée c’était d’enquêter sur ce que vit le joueur, ce qui le mobilise lors de ces phases de jeu, sa perception, les informations qui sont importantes pour lui. ?

A l’issue de cette période de recherche, l’universitaire a donc intégré le staff technique. ? Pascal Gastien m’a proposé de rester. Au début je ne travaillais que sur les transitions. Ensuite ma mission a évolué sur toutes les phases de jeu. Je suis devenu analyste du jeu et de la performance et depuis cette année je suis entra?neur adjoint avec comme mission complémentaire de coordonner les différentes cellules, médicale, prépa physique, vidéo… Durant les matchs, je suis en tribune et je communique mes observations et mes analyses au banc. Je descends à la mi-temps afin de faire part au coach de la synthèse de celles-ci. Je me sers du travail réalisé par Sébastien Grillon, notre analyste vidéo, et son équipe avec qui on a créé des matrices pour analyser les différentes phases de jeu. ?

? Ce travail est important pour nous, pour qu’on continue d’avancer, souligne le coach du Clermont Foot 63. Son r?le est de synthétiser les demandes de différents secteurs du club par rapport à notre projet de jeu. Cela nous permet d’être encore plus précis sur ce que l’on veut faire aussi bien d’un point de vue sportif, que sur le médical ou encore le recrutement. Ses travaux et ce qui en découle ont un réel intérêt pour tout le monde. Les phases de transitions défensives sont fondamentales dans le jeu moderne. Il est obligatoire d’être performants sur ces phases-là. Je suppose que tous les clubs travaillent dessus, mais gr?ce à Stéphane on dispose de données plus fines qui nous procurent peut-être un petit temps d’avance. ?

Son travail de recherche terminé, Stéphane Héros a donc pu passer au c?té pratique. ? Mon travail apporte des éclairages à deux niveaux. D’une part sur les normes du coach, son projet de jeu, ses options. Et d’autre part, sur les normes propres des joueurs, la manière dont ils vivent intrinsèquement les situations de jeu, celles qui organisent et fondent leur activité lors des transitions défensives, énumère-t-il. L’objectif est de mettre en perspective les secondes avec les premières afin de comprendre l’origine des convergences ou des divergences entre prescriptions du coach et activité réelle du joueur. ?

De là, l’universitaire déroule sa méthodologie. ? Elle consiste dans un premier temps à repérer des catégories précises de contextes de jeu liés à la phase de possession haute et aux transitions défensives hautes, précise-t-il. Ensuite, il s’agit de formaliser les consignes du coach adossées à chaque catégorie et ce en fonction du poste de chaque joueur. Le deuxième temps correspond à l’analyse comportementale à partir du repérage de régularités dans les différentes catégories créées. ?

Puis commence la partie entretien. ? Il s’agit d’entretiens d’auto-confrontation, à partir de vidéos, qui permettent d’accéder au vécu, aux ressentis du joueur pour comprendre ce qui l’oriente, le mobilise et donc ce qui fonde l’activité qu’il déploie en situation, développe-t-il. Cela permet d’éclairer les constats de décalages souvent observés entre consignes et réponses des joueurs et d’envisager la création d’axes d’entra?nement individualisés, et ce, quelles que soient les phases de jeu. Dans le but de l’optimisation de la performance et de l’entra?nement, c’est très intéressant. ?

? Savoir ce qui se passe dans la tête d’un joueur m’est très utile afin de pouvoir agir en conséquence, souligne Pascal Gastien. Cela m’a servi avec certains joueurs qui pouvaient, par exemple, estimer ne pas avoir les moyens athlétiques nécessaires pour le faire. L’objectif, c’était d’essayer de lever ces limites et de les amener à progresser. D’autant que la thèse de Stéphane colle parfaitement à notre philosophie de jeu avec l’envie de récupérer le ballon haut et le plus rapidement possible pour mettre nos adversaires en difficulté. Cela concerne évidemment les joueurs proches du ballon, mais aussi ceux qui sont plus loin. Il y a une vraie notion de collectif et les travaux de Stéphane m’ont permis de confirmer ce que je pensais concernant les transitions défensives. ?
 


Cette thèse de Stéphane Héros, en plus de son intérêt d’un point de vue footballistique, vient concrétiser les bons rapports qui existent entre le Clermont Foot 63 et l’UCA. ? Elle a eu un r?le précurseur à un moment où la convention qui existait déjà entre le club et l’UCA portait surtout sur la formation à travers l’UFR Staps et les étudiants qui réalisaient leur stage au CF63, se réjouit Mathias Bernard, le président de l’UCA. Son travail a permis d’initier une collaboration autour d’une démarche recherche – action. En étant en immersion dans le staff, cela lui a permis de faire de l’analyse mais aussi du conseil. Il a pu voir comment mettre en pratique ses hypothèses de travail. Tout en permettant au coach d’optimiser les performances de ses joueurs. C’est un échange gagnant-gagnant. ?

D’autant que ce genre de collaboration est unique en France. ? Cela nous permet de montrer qu’il est tout à fait possible de faire travailler un chercheur sur un très haut niveau de performance, poursuit l’universitaire. C’est une démarche inédite en France. Et même à l’échelle européenne c’est très rare. Cette relation est très bénéfique pour l’UCA. Cela nous donne de la visibilité et nous permet par la même occasion d’investir le champ du sport professionnel où les universités sont très peu présentes. ?

? Ce qui me pla?t ici, c’est qu’il y a un vrai projet entre le club et l’UCA dans le cadre de la convention de partenariat qui a été construite, renchérit Stéphane Héros. J’ai envie de faire fructifier ?a. Je me suis rendu à Barcelone pour voir comment eux travaillent avec l’université. Cela existe aussi un peu à Liège. C’est intelligent de la part des dirigeants du club et de l’université d’avoir mis ?a en place. C’est une vraie originalité en France. La perspective est de faire le lien entre la recherche et le monde du sport. D’apporter un éclairage scientifique. ?

Dans les mois et années à venir, cette collaboration entre le CF63 et l’université clermontoise ira encore plus loin. ? On a aussi l’idée de créer un Living lab, un laboratoire vivant in situ, dévoile Mathias Bernard. Le CF63 est un laboratoire où on expérimente. L’idée c’est de pouvoir dégager des thématiques de recherches à partir de préoccupations pratiques. La convention a justement pour but de faciliter ces échanges de manière régulière. Quand un besoin se fait sentir ou qu’une idée voit le jour, d’un c?té comme de l’autre, les choses peuvent s’enclencher de fa?on immédiate. Par la suite, on pourra même ?uvrer dans différents domaines scientifiques comme la physiologie, l’économie, les sciences humaines et sociales… L’UCA est une université pluridisciplinaire ce qui permet des champs de recherche très larges. Cela rend beaucoup de choses possibles. ?

D’autant que les travaux de Stéphane Héros, dirigés par Michel Récopé et Géraldine Rix-Lièvre de l’UCA (laboratoire ACTé UR n°4281) , ont déjà suscité de l’intérêt à l’étranger. ? J’ai été contacté par Mikel Arteta, l’entra?neur d’Arsenal, qui a lu ce que j’ai fait, sourit l’adjoint de Pascal Gastien. On a fait plusieurs visios. Il m’a demandé d’analyser 2 matchs et je lui ai renvoyé mes analyses. Et visiblement ?a lui a plu. Je me suis d’ailleurs rendu à Londres à sa demande cet été pour échanger avec lui. Manolo Gas m’a accompagné et nous avons pu découvrir leurs process d’entra?nement, ce qui était très enrichissant. C’est un entra?neur qui est très intéressé par le ressenti des joueurs. On pourrait travailler ou communiquer à nouveau ensemble à l’avenir. Je ne sais pas dans quelles conditions. J’ai eu un de ses adjoints à plusieurs reprises pour évoquer certains axes de mes travaux. ?

? J’espère que Stéphane aura aussi l’occasion de revenir à Clairefontaine surtout pour faire profiter les sélections U15, U16 et U17 du fruit de sa thèse, souhaite Lionel Rouxel. Dans un match, il y a une centaine de transitions. Certains pensent qu’à la perte de balle c’est fini, mais en réalité c’est là que tout commence. Il est primordial que chacun participe au travail défensif. Surtout les attaquants et les milieux. C’est ce que fait d’ailleurs très bien le Clermont Foot 63. C’est très important de travailler sur cette dimension du jeu chez les jeunes. Surtout au moment de leur formation. ?

? Mes travaux comportent un versant à la fois ergonomique, en termes d’analyse des contextes de travail, et également un versant portant sur l’analyse de l’activité humaine, conclut Stéphane Héros. Ce type de méthodologie est à même d’intéresser les clubs de football mais est susceptible d’être adapté à d’autres sports ou à d’autres secteurs que le sport. Cela permet d’éclairer et de mieux comprendre les fondements de l’activité humaine confronté à des environnements sous haute pression temporelle et à forts enjeux. L’ambition est de pouvoir, gr?ce à cette démarche, créer les conditions les plus propices à l’optimisation de la performance à partir d’une connaissance plus fine de ce qui mobilise réellement le sujet en situation. ? Tout un programme.